Chapitre 38
Envoûtement
Lorsque les adultes eurent enfin libéré le salon, Alexanne s’y installa et tenta de joindre Matthieu par courriel. Elle se remit à l’étude en attendant le petit bip caractéristique de l’arrivée d’une réponse, en vain. Ce fut plutôt la cloche de la porte qui finit par la déconcentrer. Elle se précipita dans le vestibule en se demandant pourquoi son pouvoir de localisation ne fonctionnait qu’une fois sur deux. Avant même de tourner le bouton de la porte, elle sut que leur visiteur était nul autre que le père de Matthieu.
— Bonjour, mademoiselle la fée, la salua Paul. J’ai un cadeau pour toi de la part de ton prince charmant.
— Un cadeau ? Qu’est-ce que c’est ?
Sans lui répondre, Paul se rendit à l’ordinateur et y installa une petite caméra.
— Génial ! s’exclama Alexanne, folle de joie.
— Il veut te voir lorsqu’il te parle.
— Je connais l’électronique, mais je ne suis pas des plus doués en informatique, avoua Paul. Matthieu m’a donné des instructions que je dois suivre à la lettre. Alors, si ça ne fonctionne pas, ce sera de sa faute.
Il pianota sur le clavier pendant un petit moment.
— Où sont les autres ?
— Ceux qui ont veillé sur Alexei sont couchés et les autres sont éparpillés dans la maison et dans la cour.
Elle lui raconta ce qui s’était passé la veille. Profondément inquiet, Paul écouta son récit. Il lui fit ensuite faire un essai de caméra avec l’ordinateur de la famille. Le visage de Louise leur apparut.
— Bonjour, vous deux ! fit-elle joyeusement.
— Ça fonctionne ! se réjouit Alexanne.
— Maintenant, vous allez pouvoir vous parler en direct, les amoureux, ajouta Paul. Merci, Louise.
— Est-ce que tout va bien chez les Kalinovsky ? voulut-elle savoir avant de raccrocher.
— Nous maîtrisons parfaitement la situation, assura la jeune fée.
— J’ai bien hâte que la région redevienne aussi sûre qu’avant.
— Demain soir, tout sera terminé.
Louise mit fin à la conversation, et Alexanne s’empressa de taper l’adresse de Matthieu. « Pas question d’écouter aux portes », se dit Paul en pénétrant dans la cuisine. Il y trouva Christian et Tatiana assis à la petite table, devant des tasses de thé fumant.
— Je t’en ai justement préparé une, annonça la guérisseuse.
Paul l’embrassa sur la joue et s’assit entre elle et le policier.
— Alexanne m’a dit que vous aviez eu beaucoup de plaisir, hier soir.
— Ce n’est qu’un prélude à ce qui s’en vient, soupira Christian.
Alexei et sa belle revinrent au même moment du jardin.
— Je suis content de te voir en aussi bonne forme, jeune homme, le salua Paul.
— Nous sommes tous morts de fatigue, mais Alex est incapable de rester tranquille, répondit la future maman.
— J’ai dit à Danielle d’aller faire un somme, ajouta Alexei.
— Ce serait plus prudent, dans votre état, renchérit Tatiana.
— Alexanne nous a annoncé la nouvelle. Je vous transmets donc les félicitations de toute la famille Richard, fit Paul.
— C’est gentil, le remercia Danielle.
Elle embrassa le futur papa sur les lèvres et monta à l’étage.
— Je ne peux pas croire que tu te tiennes debout après t’avoir vu à l’article de la mort il y a à peine quelques heures, avoua Christian.
— C’est comme l’an passé, quand le procureur m’a tiré dessus, lui rappela Alexei. Je ne suis pas fait comme les autres hommes.
— Ça, tu peux le dire.
L’homme-loup poursuivit son chemin jusqu’au salon pour voir ce que faisait son indomptable nièce et s’étonna de voir le visage animé de Matthieu sur l’écran. Il s’approcha en penchant la tête de côté.
— Est-ce qu’il joue dans un film ? demanda innocemment Alexei.
— Bonjour, monsieur Kalinovsky, fit le jeune homme.
— Il me voit ?
— Grâce à la petite caméra attachée ici, lui montra Alexanne.
— Je ne savais pas qu’on pouvait faire ça…
Alexei tendit le bras et toucha la joue de Mathieu du bout d’un doigt.
— Est-ce que tu peux sentir ça ?
— Non, affirma le jeune homme en se retenant pour ne pas rire.
L’homme-loup recula de quelques pas.
— Fais-tu des rêves étranges depuis que la créature t’a grillée ? demanda-t-il.
— Je ne rêve pas beaucoup quand je suis stressé et, en ce moment, je suis en période d’examens.
— Quand tu ne dors pas, est-ce qu’il apparaît des images horribles dans ton esprit ?
— Alex, où veux-tu en venir ? s’alarma Alexanne.
— J’essaie de savoir s’il est possédé comme je l’ai été.
— Quoi ! s’effraya Matthieu.
— Les serviteurs de l’obscurité transmettent souvent le mal qui les habite par des morsures.
— Toutes les fois qu’ils mordent ?
— Je n’ai été mordu qu’une seule fois, puis le loup est mort.
— Alex, arrête, exigea sa nièce. Ne vois-tu pas que tu es en train de le terroriser ?
— Il faut bien qu’il le sache.
L’homme-loup recula, puis quitta le salon, profondément inquiet. Il avertirait le père Collin de la possibilité que Matthieu ait été infecté par la gargouille, afin d’éviter au jeune homme la vie de misère qu’il avait menée dans la forêt.
— Alexanne, jure-moi qu’il se payait ma tête, exigea Matthieu.
— C’est difficile à dire, mou.
— Mou ?
— C’est le diminutif de « amour ».
— N’essaie pas de me distraire. Réponds-moi.
— Le mieux, je pense, serait de parler à ma tante.
Involontairement, Alexanne l’appela à l’aide avec son esprit, tellement elle était désespérée. Quelques secondes plus tard, la guérisseuse venait à elle.
— Qu’y a-t-il, ma soie ?
Alexanne lui fit aussitôt part de son inquiétude que Matthieu se change en gargouille.
— Les rôdeurs ne sont ni des loups-garous, ni des vampires. Ils ne transforment pas les gens pour le compte de Satan. De toute façon, les blessures de Matthieu étaient superficielles et elles ne contenaient aucune substance maléfique. Je l’aurais tout de suite senti.
— En êtes-vous certaine ?
— Absolument certaine. Personnellement, je pense plutôt que cette terrifiante expérience dans la forêt ne t’a apporté que du bien, Matthieu.
— Ah oui ? s’étonna le jeune homme.
— Elle t’a fait vieillir et elle t’a donné une confiance que tu n’avais pas auparavant. Maintenant, tu sais que tu peux éloigner les monstres de ceux que tu aimes. C’est un acte de bravoure exceptionnel, car la majorité des gens ne pensent qu’à sauver leur propre peau.
— Je n’ai même pas réfléchi quand j’ai obligé la chauve-souris à me suivre jusqu’au lac…
— Tu as agi par instinct, ce qui est encore plus à ton honneur. Tu es un héros, Matthieu.
Même à l’écran, les fées le virent rougir. Tatiana leur souffla un baiser et les abandonna à leur tête à tête virtuel.